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Conférence Jean Giono

De 05 Avril 2022 14:15 jusqu'au 05 Avril 2022 17:00
Posté par Super Utilisateur
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Vous trouverez ci-dessous les textes qui seront lus au cours de l'après-midi. 

Ils sont aussi en pièce jointe imprimable au format PDF (le lien est tout en bas de cette page).

Bien entendu, des photocopies seront, comme toujours, à votre disposition.

 

Texte n° 1 Extrait de « Collines » JEAN GIONO

« Un silence tombe. Depuis l’incendie, le silence est encore plus lourd qu’avant : les arbres ne le tiennent plus relevé au-dessus des hommes, il écrase la terre de tout son poids. Puis au milieu de la lande noire, monte le hurlement d’un chien. - Alors ? - Alors, c’est lui, faut pas douter. - Janet ?   Gondran se mord la main, cette main énorme qui ne peut rien dans l’affaire. Il l’enlève de devant sa bouche pour laisser sortir sa pensée. -C’est bien ça, je ne disais rien, mais j’avais compris. Pas comme tu le dis, tu es plus fort que nous, mais je m’en doutais. Tu as raison, c’est de Janet que ça vient, mais y a rien à faire.

     - Si.         -Quoi ?    Sous la lèvre de Jaume on voit une dent toute jaune, elle disparaît. - Il faut le tuer, dit-il.   Ca ne rentre pas tout d’un coup, des idées comme ça : elle disparaît. - Non de dieu ! fait Arbaud, quand il a compris.

Maintenant que la chose énorme et lourde est sortie, Jaume respire mieux. Il est devenu subitement tout rouge : de grosses veines serrent ses tempes comme les racines d’un chêne. Il parle d’une voix sans élan qui passe juste de sa bouche, puis tombe le long de lui, et il est au sein de ses paroles, la personnification de son idée, comme un saint de bois dans son manteau.

  • Il faut le tuer, c’est le seul moyen. Il est peut-être déjà en train de combiner ce qui doit nous tuer, nous autres. C’est une question de savoir si nous voulons vivre, si nous voulons sauver Babette, les petites, les Bastides. Il ne nous reste plus que ça pour nous défendre. Nous avons lutté contre le corps de la colline. Il faut écraser la tête. Tant que la tête sera droite, on risquera la mort.
  • - C’est un homme dit Gondran. »

Texte n° 2 extrait : Un de Baumugnes

- En fait de saloperie, dit Clarius, tu es allée voir ?   - Moi ? que je demande.

- Non, pas toi, la mère.     Maman Philomène quitte sa vitre : - J’y vais.

Je dis : - Si vous sortez maîtresse, prenez méfiance, la cour est pleine de branches arrachées.

Pas de réponse, le bruit des savates, puis, j’entends s’ouvrir la porte de la cave et maman Philomène qui descend, sans lumière, en tâtant l’ombre de son pied de coton. Un moment encore, puis la voix de la femme monte : - Clarius, vient un peu. Et celui-là tire la porte sur lui.

On n’était plus que tous les deux. Saturnin et moi. Des éclairs éclaboussaient encore la fenêtre mais trop vite pour fendre cette encre qui emplissait la cuisine. Il était donc par là-dedans, avec moi, quelque part, dans un coin. A tout hasard, sans intention, je vous jure, seulement pour mettre un peu de vie dans cette nuit qui était vraiment de trop, à la fin, je dis : Il doit y avoir de l’eau dans la cave. < <Et j’entends près de moi le vieux qui dit , dans son rire pareil à du pleurer : - « Non compagnon, non, avec moi, il n’y a rien à faire ».

Il pensait à ça lui aussi. Alors pour me mettre un peu à l’aise, et dans des choses saines, j’ouvre la porte sur la pluie et je sors. Et c’est ce soir-là que je l’ai vue. Oui, c’est ce soir-là que, pour la première fois je l’ai vue, elle, celle qui était comme une lampe dans la tête d’Albin, Angèle, la fille aux gestes justes, la meneuse de chevaux, l’amande de la Douloire. Elle avait dû beaucoup changer. Quand une pomme tombe du pommier, que voulez-vous, les vers s’y mettent. Enfin, moi, je m’en étais fait une autre idée et peut-être bien qu’elle avait été, une fois, pareille à cette idée. Pourtant elle eut un geste qui était bien d’elle, du temps des beaux jours. Voilà : dehors, la pluie tombait comme une fine étoffe et le torrent ne coulait plus contre le flanc de la Douloire. Je tourne derrière la maison ; tout de suite je vois dans l’ombre une raie d’or qui fendait le mur, une porte entrebaîllée et de la lumière derrière. Il m’a fallu beaucoup de précaution pour marcher sans bruit dans le gravier. J’ai dû enlever mon chapeau parce, que dessus, la pluie y jouait au tambour. Et je les ai vus : Clarius tenait la lanterne.

  • Monte, disait maman Philomène, la figure penchée sur l’escalier.

J’entends un petit pas. Il me semblait que le bruit de mon cœur grondait à des kilomètres autour de moi comme un tonnerre. - Attends, maman, dit la voix – sa voix qui me coupa l’haleine     – j’ai peur qu’il s’éveille.

  • -Nom de Dieu.. commença la grosse voix de Clarius. Et l’autre ferma la bouche. Elle parut dans la raie d’or. Oh, doucette des prés, elle tenait sur son bras amolli comme une corbeille, un enfantelet, tête ballante : le Jésus ! De la porte entrebâillée sur l’orage coulait une petite langue d’air frais. Elle regarde avec sa colère de fille ce méchant air froid, puis, de sa main qui est comme une feuille, elle couvre la petite tête sans cheveux. »

Texte n° 3 extrait de : Regain.

Oui, dit Panturle. Il crache dans les braises, puis il reprend :- Oui, il faudrait une femme. L’envie m’en prend quelquefois aux beaux jours. Mais, où elle est, celle-là qui voudrait venir ici ?

  • Où elle est ? Elle est partout si tu la forces.
  • - Ah, tu crois, toi que ça se fait comme ça ?
  • - Tu n’es rien alors ?
  • - Je suis comme les autres, mais je te dis : ça ne se fait pas comme ça. Il faut que ça vienne de plus loin et de longtemps.
  • Si je t’en mène une, tu la prends ?

Panturle s’arrête de mâcher sa chique. Il regarde la Mamèche au fond des yeux, pour voir. Il est comme ça tout immobile et tout muet, à chercher… Elle répète :

  • - Si je t’en mène une, moi, de femme, tu la prends ?

Alors il opine profondément avec la moitié de son corps et il dit :

  • Oui ! Je la prends ! ».

Texte n° 4     extrait de : « Regain »

Dans le chemin qui descend il y a Arsule et ses galoches, on les entend toutes les deux. Arsule chante. La voilà qui tourne la haie. Elle vient. Elle traîne un peu les pieds. Elle bouge un peu les épaules en marchant comme s’il fallait aider les jambes avec toutes les forces du corps. Elle s’est alourdie ; elle s’est alentie. Elle joue avec une branche d’aubépine. Il la regarde venir. Elle va, sur l’herbe neuve, en choisissant des places où il n’y a pas encore des pâquerettes. La voilà.

  • Et tu es là, au mourant du soleil ?
  • Ah ! il lui dit, je pense…
  • Il la voit avec des yeux neufs. Il la voit dans son ampleur et son aplomb. Il étend son bras : Arrête-toi, attends un peu, fille. Puis : - Approche-toi, fais-toi voir.

Elle vient contre lui. Il la saisit par ses hanches courbes. Elle est comme une jarre entre ses mains.

  • -On dirait… tu n’étais pas si grosse…

Il tient dans ses mains toute la rondeur de la jarre de chair. Il interroge comme ça, de bas en haut. Elle a baissé son visage plein de contentement comme le ciel.

  • - Oui, elle dit : maintenant tu sais.     - C’est sûr ?
  • - Franc comme l’or et déjà vivant et, l’autre nuit, j’ai senti un coup de son pied là. Elle tâte son flanc.
  • - Tu m’as dit : « Qu’est-ce que tu as ? » Je t’ai dit : »Rien. »

Il se dresse. Il a mis son bras sur l’épaule de la femme. Voilà. Elle a encore sur ses épaules ce bras nu qui est comme un poids d’eau.    - Fille… C’est tant de choses qu’il y a à dire que mieux vaut dire : « Fille », puis rester là. Et tout ce qui est encore à dire, on le laisse dans le chaud du cœur où c’est sa place. Elle souffle encore le long de lui :

- J’y pense et j’en ai des chatouilles dans les mains et sur la bouche et je languis de l’avoir dans mes doigts et de le baiser sur son partout où je pourrai, de tous les côtés. Elle dit encore au bout d’un moment :

- Je serai bonne nourrice, je sens mes seins qui germent.

Extrait n° 5     Le hussard sur le toit

Tenaillé par la faim, Angélo se risque à quitter le grenier, où il s’était réfugié, pour descendre aux cuisines :

A partir d’ici il y avait un tapis dans l’escalier. Quelque chose passa entre les jambes d’Angélo. Ce devait être le chat. Il y avait vingt-trois marches entre le grenier et le troisième ; vingt-trois entre le troisième et le second. Angélo était sur la vingt et unième marche, entre le second et le premier quand, en face de lui, une brusque raie d’or encadra une porte qui s’ouvrit. C’était une très jeune femme. Elle tenait un chandelier à trois branches à la hauteur d’un petit visage en fer de lance encadré de lourds cheveux bruns.

  • Je suis un gentilhomme, dit bêtement Angélo.
  • Il y eut un petit instant de silence, et elle dit :
  • Je crois que c’est exactement ce qu’il fallait dire. Elle tremblait si peu que les trois flammes de son chandelier étaient raides comme des pointes de fourche.
  • - C’est vrai, dit Angélo.
  • - Le plus curieux est qu’en effet cela semble vrai, dit-elle.
  • -Les brigands n’ont pas de chat, dit Angélo qui avait vu le chat glisser devant lui.
  • Mais qui a des chats ? dit-elle
  • - Celui-ci n’est pas à moi, dit Angélo, mais il me suit parce qu’il a reconnu un homme paisible.
  • - Et que fait un homme paisible à cette heure et là où vous êtes ?
  • - Je suis arrivé dans cette ville il y a trois ou quatre jours, dit Angélo, j’ai failli être écharpé comme empoisonneur de fontaine. Des gens qui avaient de la suite dans les idées m’ont poursuivi dans les rues. En me dissimulant dans une encoignure une porte s’est ouverte et je me suis caché dans la maison. Mais il y avait des cadavres, ou plus exactement un cadavre. Alors j’ai gagné les toits. C’est là-haut dessus que j’ai vécu depuis.
  • Elle l’avait écouté sans bouger. Cette fois le silence fut un tout petit peu plus long. Puis elle dit :
  • - Vous devez avoir faim alors ?
  • - C’est pourquoi j’était descendu chercher, dit Angélo, je croyais la maison déserte.
  • - Félicitez-vous qu’elle ne le soit pas, dit la jeune femme avec un sourire. Les brisées de mes tantes sont des déserts.
    Elle s’effaça, tout en continuant à éclaire le palier.
  • - Entrez, dit elle.

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EXTRAITS  de « Je ne peux pas oublier ».

« Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe des fois deux jours ou trois sans y penser et brusquement, je la revois, je la sens, je l’entends, je la subis encore. Et j’ai peur. »

« J’ai été soldat de le deuxième classe dans l’infanterie pendant quatre ans, dans ces régiments de montagnards. Avec M.V., qui était mon capitaine, nous sommes à peu près les seuls survivants de la première 6ème compagnie. Nous avons fait les Eparges, Verdun-Vaux, Noyon-Saint-Quentin, le chemin des Dames, l’attaque de Pinon, Chevrillon, le Kemmel. La 6ème compagnie a été remplie cent fois et cent fois d’hommes. La 6ème compagnie était un petit récipient de la 27ème division comme un boisseau à blé. Quand le boisseau était vide d’hommes, enfin quand il n’en restait plus que quelques-uns au fond, on le remplissait de nouveau avec des hommes frais. On a ainsi rempli la 6ème compagnie cent fois et cent fois. Et cent fois on est allé la vider sous la meule. Nous sommes de tout ça les derniers vivants, V. et moi. »

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