Conférence : "La Poétique de la maison"

De 07 Janvier 2025 14:00 jusqu'au 07 Janvier 2025 16:30
Posté par Super Utilisateur
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Chers amis de la Poésie, bonjour. 

Je vous rappelle que le :     Mardi 7 janvier 2025 dès 14h au Florida nous nous pencherons sur :

                                                  " La poétique de la maison". 

Bien évidemment il ne s'agit pas de décrire des maisons, il faudra tout au contraire dépasser les problèmes de la description (qu'elle soit objective ou suggestive), pour atteindre les vertus premières c'est-à-dire :

                                                  "La fonction première d'habiter."

La maison est notre coin du monde. Elle est notre premier univers. C'est une sorte de cosmos.

Notre grand Lamartine ne disait-il pas : "Penser c'est vivre, se souvenir c'est revivre". 

Je vous attends donc pour penser et  "revivre" à l'aide de ce sujet passionnant. 

Amicalement. 

J.GG. 

 

Les textes sont en Fichier PDF au bas de cette page et ci-dessous en clair :

 

LA POETIQUE DE LA MAISON 
 Texte n° 1  
Charles BAUDELAIRE, 1821-1967 
Petits poèmes en prose
LES  FENÊTRES (extrait)
Celui qui regarde du dehors à travers la fenêtre ouverte ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.
Par-delà des vagues de toits, j’aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j’ai refait l’histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.
                                           :- :- :- :- :
Texte n° 2    Marie-Louise BERGASSOLI
MAISON
Hier ! Mais quand était-ce ?
Ici – soudain – Hier n’existe pas
Hier c’est aujourd’hui :
Le même feu habite l’âtre
Un même bois consume allègrement
Toute une longue vie
D’herbages, de soleils, de sève, de patience,
De chants d’oiseaux, d’Amour…de bruits de Vent …
Hier n’existe plus lorsque mon cœur se pose
Sur l’aile qui palpite au cœur de la Maison,
Et que l’on sent passer
Cette divine sensation
D’être l’Enfant qui dans l’adulte se repose
Le silence se fait…arrondi…ouaté…
Un silence vibrant où passent invisibles
Ces mille bruits, ces choses indicibles,
Ensemble accordés, avec l’aube du Monde
Le Temps est suspendu dans une Eternité
Qui sans cesse s’allège…
Une attente s’installe et secrète se fait
Et complice et sereine…
Quelqu’un va revenir…
Qui va passer la porte…
Quelqu’un qui ne m’a pas quittée…
Texte n° 3  Marie-Louise BERGASSOLI 
HEURE CHAUDE 
Là-bas, passé le seuil,
Aux lames des volets,
Se devinent, vibrants, des éclats de fournaise…
Là-bas, ce lourd ruissellement ;
Mais ici,
L’ombre est bleue…immobile ;
Fraîche de la fraîcheur des grands carreaux poreux
Et des beaux murs laiteux…
Et puis dans la candeur de ce temps qui sommeille,
Habite, quelque part une fraîcheur de source,
Qui chante au fond de nous,
Et vient des jours anciens où nous avons grandi.
Quelque part une heure qui s’allège
Et transparente s’arrondit.
L’osier s’est assoupli sous le corps qui s’évade,
Et le cœur se repaît de la sobre beauté
D’un rayon que retient le vernis de la table ;
Puis le regard s’égaie,
Car il y a toujours ce plat chargé de fruits,
Comme un symbole offert, posé sur la pénombre,
Et dans l’air,
Le fragile et doux bruit
D’un insecte qui passe…
L’été, le bel été
Est tout entier dans cet espace.
Texte n° 4 Rainer Maria RILKE   1875-1926
Extrait de : Les cahiers de Malte Laurids Bridge
« Je n’ai jamais revu par la suite cette étrange demeure. Telle que je la retrouve dans mon souvenir au développement enfantin, ce n’est pas un bâtiment ; elle est fondue et répartie en moi : ici une pièce, là une pièce et ici tout au bout le couloir qui ne relie pas ces deux pièces, mais est conservé en moi comme un fragment. C’est ainsi que tout est répandue en moi, les chambres, les escaliers qui descendaient avec lenteur, d’autres escaliers, cages étroites montant en spirale dans l’obscurité des quels on avançait comme le sang dans les veines. ».
                                        
Texte n° 5 CHATEAUBRIAND 1768-1848 
EXTRAIT DE «  Mémoires d’outre-tombe »
« Moi, j’étais niché dans une espèce de cellule isolée, an haut e la tourelle de l’escalier qui communiquait de la cour intérieure aux diverses parties du château. Au bas de cet escalier le valet de chambre de mon père et le domestique gisaient dans des caveaux voûtés, et la cuisinière tenait garnison dans la grosse tour de l’ouest. »
Il conclut plus loin : 
 « L’entêtement de mon père à  faire coucher un enfant seul en haut d’une tour  aurait pu  avoir quelque inconvénient mais il tourna à mon avantage. ». 
Pour la petite histoire, il est bon de noter que lors de travaux dans le château, on trouva la momie d’un chat emmuré. Ce chat que l’on peut voir lors de visites du château, est exposé dans la chambre de l’écrivain. 
Texte n° 6   René Guy CADOU   1920-1951
LA MAISON D’HELENE 
Il a suffi du liseron du lierre
Pour que soit la maison d’Hélène sur la terre
Les blés montent plus haut dans la glaise du toit
Un arbre vient brouter les vitres et l’on voit
Des agneaux étendus calmement sur les marches
Comme s’ils attendaient l’ouverture de l’arche.
Une lampe éparpille au loin son mimosa
Très tard les grands chemins passent sous la fenêtre
Il y a tant d’amis qu’on ne sait plus où mettre
Le pain frais, le soleil et les bouquets de fleurs
Le sang comme un pic-vert frappe longtemps les cœurs
Ramiers faites parler la maison buissonnière
Enneigez ses rameaux froments de la lumière
Que l’amour soit donné aux bêtes qui ont froid
À ceux qui n’ont connu que la douceur des pierres
Sous la porte d’entrée s’engouffre le bon vent
On entend gazouiller les fleurs du paravent
Le cœur de la forêt qui roule sous la table
Et l’horloge qui bat comme une main d’enfant
Je vivrai là parmi les roses du village
Avec les chiens bergers pareils à mon visage
Avec tous les sarments rejetés sur mon front
Et la belle écolière au pied du paysage.
Texte n° 7 René Guy CADOU
N° 7 LA SAISON DE SAINTE-REINE
Je n’ai pas oublié cette maison d’école
Où je naquis en février dix-neuf cent vingt
Les vieux murs à la chaux ni l’odeur du pétrole
Dans la classe étouffée par le poids du jardin
Mon père s’y plaisait en costume de chasse
Tous deux nous y avions de tendres rendez-vous
Lorsqu’il me revenait d’un monde de ténèbres
D’une Amérique à trois cents mètres de chez nous
Je l’attendais couché sur les pieds de ma mère
Comme un bon chien un peu fautif d’avoir couru
Du jardin au grenier des pistes de lumière
Et le poil tout fumant d’univers parcourus
La porte à peine ouverte il sortait de ses manches
Des jeux de cartes des sous belges ou des noix
Et je le regardais confiant dans son silence
Pour ma mère tirer de l’amour de ses doigts
Il me parlait souvent de son temps de souffrance
Quand il était sergent-major et qu’il montait
Du côté de Tracy-le-Mont ou de la France
La garde avec une mitrailleuse rouillée
Et je riais et je pensais aux pommes mûres
À la fraîcheur avoisinante du cellier
À ce parfum d’encre violette et de souillure
Qui demeure longtemps dans les sarraus mouillés
Mais ce soir où je suis assis près de ma femme
Dans une maison d’école comme autrefois
Je ne sais rien que toi Je t’aime comme on aime
Sa vie dans la chaleur d’un regard d’avant soi.
Extrait du Recueil LES BIENS DE CE MONDE  
 Texte n° 8    Chambre d’hier
Des mille chambres où j’ai vécu
La plus belle était un violon
Le manteau de la cheminée
Cachait une âme disparue
Sous le vieux cèdre de la lampe
Après une longue journée
Je m’attardais j’avais des craintes
Pour la suite des années  
Mais soudain la lumière éteinte
Quelle est cette voix inouïe  
Comme un fruit de coloquinte
Qui éclate dans la nuit ? 
Est-ce un enfant qu’on pourchasse
Dans la rue à coups de fouet   
Un cirque fantôme qui passe
Trombonant sur les marais ?  
C’est la corde du cœur qui casse
Et tout ce qui vient après
N’est que la plainte en surface
D’un amour qui se défait.     
                    
Ici le poète évoque les cours de violon qu’il a pris étant enfant.  Il semble avoir habité l’instrument tout comme la cheminée était habitée par une âme disparue. Tout un passé surgit  à l’évocation de cette chambre musicale. Et le cri qu’il entend n’est pas réel, ce n’est que la plainte d’un amour qui se défait. 
L’intimité de la chambre devient notre intimité. La chambre est en profondeur notre chambre. Le poète ne la voit plus, il la vit. 
Bien entendu on ne reçoit pas tous les jours de telles images de la même façon. 
Texte n° 9  Jean ARON 
DEHORS  extrait du recueil CHARDIN
Comme une coulée
De vieille colle
Les lauzes glissent
La toiture geint
Le rossignol dentelle sa romance
Chaque réseau de fleurs grillage ses parfums
Le temps ne veut plus rester en place
La ferme ne sait plus depuis longtemps fermer ses portes
La pierre a soif de la brebis défunte
Une robe d’odeurs frangées de vieux terreau
Débouche du fond du quotidien
Tout un passé mourant qui ne veut pas mourir
Un figuier planté là
Vague ses parfums lourds
Un cri d’épervier déchire du sang neuf
Un présent fait d’orties
Sue des plaies vivantes
Dans le lointain
L’enfant rappelle qu’il faut vivre.  
Texte n° 10 LAMARTINE 1790-1869
La Vigne et la Maison
Efface ce séjour, ô Dieu ! de ma paupière,
Ou rends-le moi semblable à celui d’autrefois,
Quand la maison vibrait comme un grand cœur de pierre
De tous ces cœurs joyeux qui battaient sous ses toits ! 
A l’heure où la rosée au soleil s’évapore,
Tous ces volets fermés s’ouvraient à sa chaleur,
Pour y laisser entrer, avec  la tiède aurore,
Les nocturnes parfums de nos vignes en fleur. 
On eût dit que ces murs respiraient comme un être 
Des pampres réjouis la jeune exhalaison ; 
La vie apparaissait rose, à chaque fenêtre, 
Sous les beaux traits d'enfants nichés dans la maison.
Leurs blonds cheveux épars au vent de la montagne,
Les filles, se passant leurs deux mains sur les yeux,
Jetaient des cris de joie à l'écho des montagnes,
Ou sur leurs seins naissants croisaient leurs doigts pieux.
La mère, de sa couche à ces doux bruits levée, 
Sur ces fronts inégaux se penchait tour à tour, 
Comme la poule heureuse assemble sa couvée, 
Leur apprenant les mots qui bénissent le jour.
:::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::
Et les bruits du foyer que l’aube fait renaître
Les pas des serviteurs sur les degrés de bois, 
Les aboiements du chien qui voit sortir son maître, 
Le mendiant plaintif qui fait pleurer sa voix.
Montaient avec le jour ; et, dans les intervalles, 
Sous des doigts de quinze ans répétant leur leçon, 
Les claviers résonnaient ainsi que des cigales 
Qui font tinter l'oreille au temps de la moisson !
Puis ces bruits d'année en année 
Baissèrent d'une vie, hélas ! et d'une voix ;
Une fenêtre en deuil, à l'ombre condamnée, 
Se ferma sous le bord des toits.
…………………….
Printemps après printemps, de belles fiancées 
Suivirent de chers ravisseurs, 
Et, par la mère en pleurs sur le seuil embrassées, 
Partirent en baisant leurs soeurs.
Puis sortit un matin pour le champ où l'on pleure 
Le cercueil tardif de I'aïeul, 
Puis un autre, et puis deux ; et puis dans la demeure
Un vieillard morne resta seul !
Puis la maison glissa sur la pente rapide
Où le temps entasse les jours ;
Puis la porte à jamais se ferma sur le vide,
Et l’ortie envahit les cours !...
                           
Texte n° 11      Rainer Maria Rilke 1875-1926
Extrait de VERGERS
O nostalgie des lieux…
Ô nostalgie des lieux qui n’étaient point
Assez aimés à l’heure passagère, 
Que je voudrais leur rendre de loin
Le geste oublié, l’action supplémentaire ! 
Revenir sur mes pas, refaire doucement
et cette fois fois, seul – tel voyage,
rester à la fontaine davantage,
toucher cet arbre, caresser ce banc…
Car n’est-ce pas le temps où il importe
De prendre un contact subtil et pieux ?
Tel était fort, c’est que la terre est forte ;
Et tel se plaint : c’est qu’on la connaît peu. 
                     
Parfois les songes descendent si profondément dans un passé indéfini, dans un passé débarrassé de ses dates, que les souvenirs de la maison natale paraissent se détacher de nous. 
Notre passé est dans un ailleurs et une irréalité imprègne les lieux et les temps.
Texte n° 12 Pierre SEGHERS 1906-1987
Une maison où je vais seul
Une maison où je vais seul en l’appelant
Un nom que le silence et les murs me renvoient
Une étrange maison qui se tient dans ma voix
Et qu’habite le vent
Je l’invente, mes mains dessinent un nuage
Un bateau de grand ciel au-dessus des forêts
Une brume qui se dissipe et disparaît
Comme au jeu des images.
                                        
Texte n° 13 Victor HUGO 1802-1885
Aux Feuillantines extrait du recueil Les Contemplations
Mes deux frères et moi, nous étions tout enfants. 
Notre mère disait: jouez, mais je défends
Qu'on marche dans les fleurs et qu'on monte aux échelles.
Abel était l'aîné, j'étais le plus petit.
Nous mangions notre pain de si bon appétit,
Que les femmes riaient quand nous passions près d'elles.
Nous montions pour jouer au grenier du couvent.
Et là, tout en jouant, nous regardions souvent
Sur le haut d'une armoire un livre inaccessible.
Nous grimpâmes un jour jusqu'à ce livre noir ;
Je ne sais pas comment nous fimes pour l'avoir,
Mais je me souviens bien que c'était une Bible.
Ce vieux livre sentait une odeur d'encensoir.
Nous allâmes ravis dans un coin nous asseoir.
Des estampes partout ! quel bonheur ! quel délire!
Nous l'ouvrîmes alors tout grand sur nos genoux,
Et dès le premier mot il nous parut si doux
Qu'oubliant de jouer, nous nous mîmes à lire.
Nous lûmes tous les trois ainsi, tout le matin,
Joseph, Ruth et Booz, le bon Samaritain,
Et, toujours plus charmés, le soir nous le relûmes.
Tels des enfants, s'ils ont pris un oiseau des cieux,
S'appellent en riant et s'étonnent, joyeux,
De sentir dans leur main la douceur de ses plumes.
Texte n° 14 Yves BONNEFOY 1923-
La maison natale  extrait du recueil Les planches courbes 
J’ouvre les yeux, c’est bien la maison natale,
Et même celle qui fut et rien de plus.
La même petite salle à manger dont la fenêtre
Donne sur un pêcher qui ne grandit pas.
Un homme et une femme sont assis
Devant cette croisée, l’un face à l’autre,
Ils se parlent, pour une fois. L’enfant
Du fond de ce jardin les voit, les regarde,
Il sait que l’on peut naître de ces mots.
Derrière les parents la salle est sombre.
L’homme vient de rentrer du travail. La fatigue
Qui a été le seul nimbe des gestes
Qu’il fut donné à son fils d’entrevoir
Le détache déjà de cette rive. 
Texte n° 15 Jacqueline GHIO-GERVAIS
Maison à vendre extrait du recueil  « A Nuitée »
J’avais cru…
Mais il faut se résoudre.
Demain s’habillera de deuil.
Etrange face-à-face d’un miroir
Où se lit du regret la morsure
Et d’un sourire peint à la déterminée.
Ce soir
L’épaisseur du silence reproche un abandon…
Depuis la lampe aveugle assiégée par les ombres
A la vitre
Où le ciel s’est usé tant de fois.
Demain bâillonnera
Et ces rires d’enfants
Que les lares retiennent
Et ces traces de doigts
Çà et là devinées.
Eclats de joie incluse au derme des années.
Ce soir vibre le cœur des pierres
Taillant à mots précis les veines du passé.
Ce soir
Tout semble croire encore…
C’est l’ultime et vaine prière…
Demain…
                Mémoires…
 Le retour à la maison natale peut être considéré comme un retour à la mère. Mère et maison cohabitent. L’intimité de la maison « bien fermée » appelle d’autres intimités, en particulier l’intimité de giron maternel et ensuite du sein maternel. 
Texte n°16  extrait du roman
A mots couverts de Jacqueline Ghio-Gervais
Et c’est ainsi qu’un matin, quand la rosée larmoie aux longs doigts de la treille, alors qu’au tremblé de l’air pâle, tout juste émergés du sommeil, frissonnent les contours du décor, il réveilla sa demeure assoupie.
C’était…quelque part où glisse une rivière en chuchotis bavards. Aux abords truffés de fougères, à l’ombre d’acacias fourrés de roucoulades, durant que de grands saules mêlent leur chevelure au froissement de l’eau où se noient, confondus, le bleu tombé du ciel et la rouille des pierres.
C’était…au détour d’un chemin chaotique et pierreux, griffé de ronces, pavé de mousse délicate, longé de châtaigniers squattés par les oiseaux. 
Elle le reçut, coiffée de lauzes bleues, cernée d’hortensias mauves. Quelques réticences firent grincer les gonds de sa porte branlante. Sans égard, François la bouscula, fenêtres grands ouvertes, pour la tirer de sa torpeur. Sous un tulle de soie grise, l’haleine alourdie de salpêtre et de vieille suie froide, ses vastes pièces, pressées de boire le soleil, criaient de solitude. Leur vétusté le confondit.
Il s’en reprocha l’abandon, s’en disculpa par la surcharge de travail dont l’accablait son cabinet, l’aversion de Camille pour la campagne…
Enfin, juge et partie, François pour en finir, s’accorda que tel était le sort d’un lieu inhabité depuis…Il hésita. Compter lui faisait mal. 
A l’abri de sa tour séculaire, la vis de pierre conduisant à l’étage se réveilla à son pas rapide. Face à la porte de sa chambre, il prit un temps pour respirer, calmer les battements de son cœur impatient. Sa main caressa le bois lisse, gardien d’empreintes innombrables.
La chambre de Madeleine, réceptacle de tant de larmes, de secrets jalousement tus, l’attendait. 
Sitôt pénétré, un flux d’images le submergea. Fermant les yeux, il se livra aux doigts joueurs de cette vague montante, comme un nageur s’en laisse pétrir, pour basculer dans l’autre monde. 
Là, dans un silence douillet, bruissant de confidences qu’une oreille avertie pouvait entendre chuchoter, c’était l’immobilité du temps qu’il visitait. Non pas le froid silence de la mort, point de chute de tant d’alarmes, mais un entre-temps à l’arrêt s’ouvrant comme une orange avec goût connu, qu’il croyait avoir oublié, dont le tendre réveil le faisait saliver. Sans commencement. Sans limites, sans mesures possibles. Dépourvu de répétitions. Seule une continuité, ouatée de ce subtil parfum d’orange abolissant l’absence, l’envahissait. 
Par-delà la fêlure du temps, l’âme de la maison l’accueillait. Invisible gardienne, rempart contre l’oubli, elle occupait l’espace. Et son invite avait l’incomparable couleur de l’enfance quand tout était futur, quand tout était peut-être. 
Né d’une pression des paupières, entre ses cils mi-clos, un faisceau d’étoiles l’illumina. Pêle-mêle, à portée de cœur, un passé trop présent agitait ses blessures. Pris de vertige, il vacilla.
Ailleurs, le temps, ronde infernale, glissait autour de lui, effritant ses souvenirs dont il essayait pourtant d’assembler les brisures. Il n’en restait qu’une fluidité d’aquarelle. 
Ici, rien ne changeait. Le temps s’attardait à plaisir…
                                           :- :- :- :-
Ainsi s’achève notre réflexion sur la po&ea