Rencontre avec Sabine Sicaud

Du 06 Février 2024 14:00 jusqu'au 06 Février 2024 17:00
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Chers amis de la Poésie, Bonjour,

Je vous rappelle que le Mardi 6 février 2024 au Florida, dès 14h,

                                      j'évoquerai pour vous : 

                                      Sabine SICAUD  1913 1928 

A quinze ans, après avoir écrit des poèmes bouleversants sur la souffrance, celle qu'on avait surnommée "le petit elfe" s'éteignait. Publiés trente ans après sa mort, ils sont maintenant dans l'oubli.

Selon notre habitude, les poèmes seront à votre disposition. Vous pouvez également les trouver ci-dessous et aussi en fichier joint au bas de cette page.

En attendant de partager avec vous cet "unique regard d'enfant doublé de l'entendement de l'adulte", je vous souhaite une belle journée. 

Bien à vous.

Jacqueline GHIO-GERVAIS

 

                         SABINE SICAUD   1913-1928

                    

TEXTES N°1 LE PETIT CEPE

Va, je te reconnais, jeune cèpe des bois...
Au bord du chemin creux, c'est bien toi que je vois
Ouvrant timidement ton parapluie.
A-t-il plu cette nuit sur la ronce et la thuie ?
Déjà le soleil tendre essuie
Les plus hautes feuilles du bois...

Tu voulais garantir les coccinelles...
Il fait beau : Tu seras, jeune cèpe, une ombrelle,
L'ombrelle en satin brun d'un roi de Lilliput.
Ne te montre pas trop, surtout... le chemin bouge... Chut !
Fais vite signe aux coccinelles !

Des gens sont là, dont les grands pieds viennent vers toi :
On te cherche, mon petit cèpe !
Que l'ajonc bourdonnant de guêpes,
Le genièvre et le houx, cachent les larges toits
De tes aînés, les frères cèpes ;
Car l'un mène vers l'autre, et la poêle est au bout !

Voici qu'imprudemment tout un village pousse :
Rouget couleur de sang, verdet couleur de mousse,
Girolle au bonnet roux,
Chapeaux rouges, verts, blonds ; partout
Les toits d'un rond village poussent !

Depuis l'oronge en oeuf, le frais pâturon blanc
Doublé de crépon rose,
Jusqu'au méchant bolet qu'on appelle Satan,
Je les reconnais tous : les joyeux, les moroses,
Les perfides, les bons, les gris, les noirs, les roses,
Les cousins de l'humide automne et du printemps…

Mais c'est pour toi, cher petit cèpe, que je tremble !
Tu n'es encore qu'un gros clou bien enfoncé ;
Ta tête a le luisant du marron d'Inde, et lui ressemble.
Surtout, ne hausse pas au revers du fossé
Ta calotte de moine : on te verrait... je tremble !

Moi, tu le sais, je fermerai les yeux
Exprès, je t'oublierai; sous une feuille sèche,
Je t'oublierai, petit Poucet... Je ne puis ni ne veux
Être pour toi l'Ogre qui rêve de chair fraîche ;
Je passerai, fermant les yeux…

Dans mon panier, j'emporterai quelques fleurs, une fraise,
Rien peut-être… Mais toi sur le talus,
À l'heure où les chemins se taisent,
Levant ton capuchon, tu ne nous craindras plus.

Brun et doré, sur le talus,
Tu t'épanouiras en coupole, si ronde,
Si large, que la lune en marche, une seconde
S'arrêtera pour te frôler de son doigt blanc ; la nuit
Se fera douce autour de toi, bleue et profonde ;
Mignonne hutte sauvage... table ronde.

Pour les rainettes, dont l'œil jaune et songeur luit,
Mon cèpe, tu ne seras plus un clou dans l'herbe verte
Mais un pin parasol dans l'ombre où se concertent
Les fourmis qui toujours s'en vont en longs circuits;
Tu seras une belle tente, grande ouverte,
Où les grillons viendront chanter la nuit.

TEXTE N° 2      FAFOU

Chimère, dromadaire, kangourou ?
Non. Rien que cette ombre chinoise,
Fafou, sur la fenêtre, à contre-jour, Fafou,
Toute seule et pensive… Un fuchsia pavoise
L’écran vert derrière elle, et j’entends, à deux pas,
Des oiseaux qui l’ont vue et s’égosillent.

Fafou se pose en gargouille. Un œil las
Semble à peine s’ouvrir dans son profil où brille,
Cependant, quelque chose, on ne sait quoi d’aigu…
Par là, se cache un nid d’oisillons nus
Pour qui la mère tremble — Fafou songe.

Un tout petit pétale rouge, qui s’allonge,
Marque d’un trait sa gueule fine… Un bâillement.
Puis un autre… Fafou dormait innocemment.
Fafou dormait, vous dis-je ! Elle s’étire,
La queue en yatagan,
Puis en cierge; le dos bombé, puis creux. Le pire,
C’est qu’elle n’a pas l’air de voir, s’égosillant,
La mère oiseau dans l’if si proche…

Une patte en fusil, assise, la voilà
Qui se brosse, candide, et sa robe a l’éclat
D’un beau satin de vieille dame où se raccroche
La lumière du soir.
Une dame ? ou quelque vieux diable en habit noir ?

Fafou, je n’aime pas ces yeux d’un autre monde,
Ces yeux de revenant… Tout à l’heure croissants,
Maintenant lunes rondes,
Pourquoi ces trous phosphorescents
Dans cette face obscure ? Sur la toile
Qui se fonce, elle aussi — la toile du jardin
Où les pendants des fuchsias sont des étoiles
La robe d’un noir vif s’éteint…

— Elle n’est plus qu’un badigeon d’encre ou de suie,
Un pelage sinistre ! Où l’as-tu pris
Ce noir d’enseigne de chat noir lavé de pluie ?

— Chat noir ou lion noir ? Chauve-souris,
Chouette, quoi ? Je ne sais plus. Sur la fenêtre,
Une tête où l’oreille plate disparaît…
Lézard, couleuvre ou tortue ? Ah ! Si près,
L’oiseau même ne sait qui redouter, quel être
Fantastique et changeant va ramper cette nuit
Dans le jardin au noir mystère de caverne !

— Du noir, du noir… Un point luit,
Deux points… deux vers luisants, vertes lanternes…
Fafou, je ne veux pas !
D’où reviens-tu, démon, de quel sabbat,
De quelle grotte de sorcière,
Lorsque tes yeux me font cette peur, tout à coup ?

  • C’est l’heure des gouttières,
    De la jungle ! Foulant, d’un piétinement doux,
    Une vendange imaginaire, sur la pierre,
    Quelle arme aiguises-tu ? Je ne veux pas, Fafou !
    Viens sous la lampe ! Un ruban rose au cou,
    Un beau ruban rose de jeune fille, rose pâle,
    Je te veux, comme en haut d’une carte postale,
    Une petite chatte noire, voilà tout…

TEXTE N° 3     VIGNE VIERGE D’AUTOMNE

Vous laissez tomber vos mains rouges,
Vigne vierge, vous les laissez tomber
Comme si tout le sang du monde était sur elles.

A leur frisson, toute la balustrade bouge,
Tout le mur saigne,
Ô vigne vierge... Tout le ciel est imbibé
D'une même lumière rouge.

C'est comme un tremblement d'ailes rouges qui tombent,
D'ailes d'oiseaux des îles, d'ailes
Qui saignent. C'est la fin d'un règne -
Ou quelque chose de plus simple infiniment.

Ce sont les pieds palmés de hauts flamants
Ou de fragiles pattes de colombes
Qui marchent dans l'allée.
(Où vont-elles, si rouges ?)
Leurs traces étoilées
Rejoignent l'autre vigne, où l'on vendange.
Si rouge,
Est-ce déjà le sang des cuves pleines ?
Ah ! simplement la fête des vendanges,
Simplement n'est-ce pas ?

Et pourtant, que vos mains sont tremblantes ! Leurs veines
Se rompent une à une... Tant de sang...
Et cette odeur si fade, étrange.
Ces mains qui tombent d'un air las,
Ô vigne vierge, d'un air las et comme absent,
Ces mains abandonnées...

(Lady Macbeth n'eut-elle pas ce geste
Après avoir frotté la tache si longtemps ?)

Mains qui se crispent, mains qui restent
En lambeaux rouges sur octobre palpitant ;
Dites, oh ! dites chaque année
Etes-vous les mains meurtrières de l'Automne ?

Ou chaque année,
Sans rien qui s'en émeuve ni personne,
Des mains assassinées
Qui flottent au fil rouge de l'automne ?

TEXTE N° 4 LES PELERINS DE LA DUNE

Les pins…Les pins aux verts cheveux,

Aux sandales d’or et de cuivre,

Un par un, deux par deux,

Droit devant eux,

S’en vont, comme ivres…

 

Ivres de soleil et de vent,

Les bras tendus, penchés souvent

Tant le vent du large les pousse,

Tant le soleil mord jusqu’au sang

La dune rousse

Les pins s’en vont, chargés d’encens,

D’or et de myrthe, vers là-bas,

Vers des pays qu’on ne sait pas, tendant les bras…

 

Les pins s’en vont dans un bruit d’ailes,

Un bruit de pas, un bruit de voix surnaturelles.

Je les entends, je les entends…à pas légers,

La forêt suit, comme un troupeau suit le berger.

A voix basse, bouche fermée,

Comme les chanteurs de l’Ukraine,

L’Océan dit ses peines.

 

La dernière houle calmée

Froisse et défroisse des étoffes qu’elle traîne…

Et le vent jour à l’imiter, dans les remous

Des pins en marche.

 

Ô patriarches,

Verts pèlerins des sables roux,

Pèlerins vers je ne sais où,

C’est bien vous qui marchez, c’est vous

Qui faites, sous mes orteils nus, frémir la dune…

 

Le soir tombe… Et peut-être ici

a-t-on rêvé, mouillés de lune,

de soirs mauves, gris pâle aussi,

et diaphanes…

de vos soirs, Puvis de Chavannes…

 

Moi, j’ai vu des pins, un par un,

Devenir bleus, devenir bruns,

Je les ai vus, fouettés d’embruns,

Disloqués par le vent sauvage.

 

Et conduisant toujours, toujours,

Le même long pèlerinage…

 

Hallucinés, aveugles, sourds,

Je les ai vus en Don Quichotte,

Je les ai vus en Juif-errant,

Chauves, bossu, manchots, branlants,

Ombres chinoises de la côte…

 

Et derrière, j’ai vu, pressés

Comme les moutons de la fable,

D’autres pins, tous les pins blessés,

Cramponnés aux pentes de sable…

 

Dans les pots d’argiles, saignait

Leur sève épaisse, goutte à goutte…

Les premiers pins suivaient leur route.

 

Moi seule les accompagnais…

Vers quelle Espagne de miracles ?

Vers quelles sierras, quels châteaux,

Quels tabernacles ?

 

Non, ne me dites pas tout haut

L’histoire des pins sur la dune,

L’histoire vraie en quatre mots…

 

Puisque je vois, au clair de lune,

Au clair du soleil, verte ou brune,

Marcher la forêt devant moi…

Puisque c’est vrai, lorsque j’y crois…

 

TEXTE N° 5     LA SOLITUDE

Solitude... Pour vous cela veut dire seul,
Pour moi - qui saura me comprendre ?
Cela veut dire : vert, vert dru, vivace tendre,
Vert platane, vert calycanthe, vert tilleul.

Mot vert. Silence vert. Mains vertes
De grands arbres penchés, d'arbustes fous ;
Doigts mêlés de rosiers, de lauriers, de bambous,
Pieds de cèdres âgés où se concertent
Les bêtes à Bon Dieu ; rondes alertes
De libellules sur l'eau verte...

Dans l'eau, reflets de marronniers,
D'ifs bruns, de vimes blonds, de longues menthes
Et de jeune cresson ; flaques dormantes
Et courants vifs où rament les " meuniers " ;
Rainettes à ressort et carpes vénérables ;
Martin-pêcheur... En mars, étoiles de pruniers,
De poiriers, de pommiers ; grappes d'érables.
En mai, la fête des ciguës,
Celle des boutons d'or : splendeur des prés.
Clochers blancs des yuccas, lances aiguës
Et tiges douces, chèvrefeuille aux brins serrés,
Vigne-vierge aux bras lourds chargés de palmes,
Et toujours, et partout, fraîche, luisante, calme,
L'invasion du lierre à petits flots lustrés
Gagnant le mur des cours, les carreaux des fenêtres,
Les toits des pavillons vainement retondus...
Lierre nouant au front du chêne, au cou du hêtre,
Ses bouquets de grains noirs comme un piège tendu
A la grive hésitante ; vert royaume
Des merles en habit - royaume qui s'étend
Ainsi que dans un parc de Florence ou de Rome
En nappes d'émeraude et cordages flottants...
Lierre de cette allée au porche de lumière
Dont les platanes séculaires, chaque été,
Font une longue cathédrale verte - lierre
De la grotte en rocaille où dorment abrités
Chaque hiver, les callas et les cactus fragiles ;
Housse, que la poussière blanche de la ville
Givre à peine les soirs de très grand vent - pour moi,
Vert obligé des vieilles pierres,
Des arbres vieux, des toits qui penchent, des vieux toits -

Un château ? Non, Madame, une gentilhommière,
Un ermitage vert qui sent les bois, le foin,
Où les bruits dé la route arrivent d'assez loin
Pour n'être plus qu'une musique en demi-teintes.
Un train sur le talus se hâte avec des plaintes,
Mais l'horizon tout rose et mauve qu'il rejoint
Transpose le voyage en couleurs de légende.
On regarde un instant vers ces trains qui s'en vont
Traînant leur barbe grise - et c'est vrai qu'ils répandent
Un peu de nostalgie au fil de l'été blond...

Mais le jazz des moineaux fait rage dans les feuilles,
Les pigeons blancs s'exaltent, le cyprès
Est la tour enchantée où des notes s'effeuillent
Autour du rossignol. Du pré,
Monte la fièvre des grillons, des sauterelles,
Toutes les herbes ont des pattes, ont des ailes -
Et l'Ane et le Cheval de la Fable sont là
Et Chantecler se joue en grand gala
Jour et nuit dans la cour où des plumes voltigent.

Au clair de l'eau, c'est l'éternel prodige
Du têtard de velours devenu crapaud d'or,
De la voix de cristal parmi les râpes neuves
D'innombrables grenouilles. Le chat dort.
Dickette-chien s'affaire - et sur leur tête pleuvent
Des pastilles de lune ou de soleil brûlant.
S'il pleut vraiment, la pluie à pleins seaux ruisselants
S'éparpille de même aux doigts verts qui l'arrêtent.

Un tilleul, des bambous. L'abri vert du poète,
Du vert, comprenez-vous ? Pour qu'aux vieilles maisons
Rien ne blesse les yeux sous leurs paupières lasses.
Douceur de l'arbre, de la mousse, du gazon...
Vous dites : Solitude ? Ah ! dans l'heure qui passe,
Est-il rien de vivant plus vivant qu'un jardin,
De plus mystérieux, parfumé, dru, tenace,
Et peuplé - si peuplé qu'il arrive soudain
Qu'on y discourt avec mille petits génies
Sortis l'on ne sait d'où, comme chez Aladin.

Un mot vert... Qui dira la fraîcheur infinie
D'un mot couleur de sève et de source et de l'air
Qui baigne une maison depuis toujours la vôtre,
Un mot désert peut-être et desséché pour d'autres,
Mais pour soi, familier, si proche, tendre, vert
Comme un îlot, un cher îlot dans l'univers ?...

TEXTE N°6     DES LIVRES ? SOIT …

Des livres ? Soit. Mais en hiver.
Que le jardin soit gris, la vitre grise !
Que la brise, dehors, soit de la bise
Et la chaleur, dedans, celle de tisons clairs.

Des livres… Mais un ciel de Londres
Et des larmes, sur les carreaux, en train de fondre…

Manteaux sentant le vétiver -
Chats en boule, manchons, marrons, l’hiver !

Alors, si vous voulez, un livre - pas des livres -
Un seul, mais beau comme le printemps vert,
L’été doré, le rouge automne grand ouvert,
Plein d’oisillons bavards et de papillons ivres !

Lequel m’offrirez-vous, lequel
M’apportera cela, demain, père Noël ?

Des images, bien sûr… C’est le temps des images.
Saluons-nous, Bergers, Rois Mages !
Et des contes… Bonjour, prince Charmant !
Et de l’histoire… - que vois-je, mais autrement -
Et des voyages… que me gâtent les naufrages !
Père Noël, père Noël, ne cachez-vous
Dans votre hotte, un brin de houx,
Dans votre barbe, un grain de givre ?

Ne remplaceraient-ils ce gros livre, entre nous ?
Mon livre à moi n’est pas un livre
Comme ceux qu’on imprime, et, jusqu’au bout,
Vos feuillets bien coupés, je ne pourrais les suivre.

On ne lit pas un conte… On s’en souvient.
Je l’écoute, brodé par les flammes dansantes,
Ceux qu’on ne me dit pas, je les invente !

L’Histoire ? Un conte aussi. Pour les voyages, rien,
Rien, sachez-le, ne me retient
Si quelque oiseau bleu me fait signe.

Quant aux poèmes… soit. Nous attendrons l’été.
L’été n’a pas besoin de rimes qui s’alignent.
Attendons seulement le pourpre velouté
De cette rose que je sais, près de la vigne…

TEXTE 7 LA PAIX

Comment je l'imagine ?
Eh bien, je ne sais pas...
Peut-être enfant, très blonde, et tenant dans ses bras
Des branches de glycine ?

Peut-être plus petite encore, ne sachant
Que sourire et jaser dans un berceau penchant
Sous les doigts d'une vieille femme qui fredonne...

Parfois, je la crois vieille aussi... Belle, pourtant,
De la beauté de ces Madones
Qu'on voit dans les vitraux anciens. Longtemps -
Bien avant les vitraux - elle fut ce visage
Incliné sur la source, en un bleu paysage
Où les dieux grecs jouaient de la lyre, le soir.

Mais à peine un moment venait-elle s'asseoir
Au pied des oliviers, parmi les violettes.
Bellone avait tendu son arc... Il fallait fuir.
Elle a tant fui, la douce forme qu'on n'arrête
Que pour la menacer encore et la trahir !

Depuis que la terre est la terre
Elle fuit... Je la crois donc vieille et n'ose plus
Toucher au voile qui lui prête son mystère.
Est-elle humaine ? J'ai voulu
Voir un enfant aux prunelles si tendres !

Où ? Quand ? Sur quel chemin faut-il l'attendre
Et sous quels traits la reconnaîtront-ils
Ceux qui, depuis toujours, l'habillent de leur rêve ?
Est-elle dans le bleu de ce jour qui s'achève
Ou dans l'aube du rose avril ?

Ecartant, les blés mûrs, paysanne aux mains brunes
Sourit-elle au soldat blessé ?
Comment la voyez-vous, pauvres gens harassés,
Vous, mères qui pleurez, et vous, pêcheurs de lune ?

Est-elle retournée aux Bois sacrés,
Aux missels fleuris de légendes ?
Dort-elle, vieux Corot, dans les brouillards dorés ?
Dans les tiens, couleur de lavande,
Doux Puvis de Chavannes ? dans les tiens,
Peintre des Songes gris, mystérieux Carrière ?
Ou s'épanouit-elle, Henri Martin, dans ta lumière ?

Et puis, je me souviens...
Un son de flûte pur, si frais, aérien,
Parmi les accords lents et graves ; la sourdine
De bourdonnants violoncelles vous berçant
Comme un océan calme ; une cloche passant,
Un chant d'oiseau, la Musique divine,
Cette musique d'une flotte qui jouait,
Une nuit, dans le chaud silence d'une ville ;
Mozart te donnant sa grande âme, paix fragile...

Je me souviens... Mais c'est peut-être, au fond, qui sait ?
Bien plus simple... Et c'est toi qui, la connais,
Sans t'en douter, vieil homme en houppelande,
Vieux berger des sentiers blonds de genêts,
Cette paix des monts solitaires et des landes,
La paix qui n'a besoin que d'un grillon pour s'exprimer.

Au loin, la lueur d'une lampe ou d'une étoile ;
Devant la porte, un peu d'air embaumé...
Comme c'est simple, vois ! Qui parlait de tes voiles
Et pourquoi tant de mots pour te décrire ? Vois,
Qu'importent les images : maison blanche,
Oasis, arc-en-ciel, angélus, bleus dimanches !
Qu'importe la façon dont chacun porte en soi,
Même sans le savoir, ton reflet qui l'apaise,
Douceur promise aux coeurs de bonne volonté...

Ah ! tant de verbes, d'adjectifs, de parenthèses !
- Moi qui la sens parfois, dans le jardin, l'été,
Si près de se laisser convaincre et de rester
Quand les hommes se taisent...

TEXTE 8 PREMIERES FEUILLES

Vous vous tendez vers moi, vertes petites mains des arbres,
Vertes petites mains des arbres du chemin.
Pendant que les vieux murs un peu plus se délabrent,
Que les vieilles maisons montrent leurs plaies,
Vous vous tendez vers moi, bourgeons des haies,
Verts petits doigts.

Petits doigts en coquilles,
Petits doigts jeunes, lumineux, pressés de vivre,
Par-dessus les vieux murs vous vous tendez vers nous.
Le vieux mur dit : " Gare au vent fou,
Gare au soleil trop vif, gare aux nuits qui scintillent,
Gare à la chèvre, à la chenille,
Gare à la vie, ô petits doigts !

Verts petits doigts griffus, bourrus et tendres,
Vous sentez bien pourquoi
Les vieux murs, ce matin, ont la voix de Cassandre.
Petits doigts en papier de soie,
Petits doigts de velours ou d'émail qui chatoie,
Vous savez bien pourquoi
Vous n'écouterez pas les murs couleur de cendre...

Frêles éventails verts, mains du prochain été,
Nous sentons bien pourquoi vous n'écoutez
Ni les vieux murs, ni les toits qui s'affaissent ;
Nous savons bien pourquoi
Par-dessus les vieux murs, de tous vos petits doigts,
Vous faites signe à la jeunesse !

TEXTE N°   9 CHEMINS DE L OUEST

Pour qui vous a-t-on faits, grands chemins de l'Ouest ?
chemins de liberté que l'on suppose tels
et qui mentez sans doute...
Espaces où surgit le Popocatepelt,
où le noir séquoïa cerne d'étranges routes,
où la faune et la flore ont de si vastes ciels
que l'homme ne sait plus à quel étage vivre.
Chemins de liberté que nous supposons libres.
A travers les Pampas court mon cheval sans bride,
mais la ville géante a ses réseaux de feu
et les jeunes mortels faits de toutes les races
ont leurs lassos, leurs murs, leur pères et leurs dieux.
Des " Trois Puntas " à la mer des Sargasses,
Amériques du Sud, du Nord,
pays des toisons d'or, des mines d'or, de l'or
qui fait l'homme libre et l'esclave,
le Pampero peut-être ignore les entraves
et l'aigle boréal, les pièges du chasseur...
Mais, ô ma liberté, plus chère qu'une soeur,
c'est en moi que tu vis, sereine et sédentaire,
pendant que les chemins font le tour de la terre.

TEXTE N° 10 LE CHEMIN DE CREVE-CŒUR

 

Un seul coeur ? Impossible
Si c'est par lui qu'on souffre et que l'on est heureux.
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Fichiers