A la Rencontre "d'Albert Londres", reporter, journaliste, homme d'action.

Du 18 Octobre 2019 14:30 jusqu'au 18 Octobre 2019 17:00
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ALBERT LONDRES 1884-1932

 

Les textes au format Word imprimable ici.

 

Texte n° 1   extrait de la préface de : « Terre d’ébène ».

« Je demeure convaincu qu'un journaliste n'est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie».

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Texte n°2   extrait de : « La Chine en folie. »

Vingt et une provinces, vingt et un tyrans. L’un vend sa part de Chine au Japon, l’autre aux Américains. Tout est mis à l’encan : fleuves, chemins de fer, mines, temples, palais, bateaux. Pour chacun le pays est un butin. Il ne s’agit que de faire main basse dessus, alors on ouvre l’enchère. Qui veut des locomotives ? Qui dit tant de dollars ? Vous, Tokyo ? Bon ! Adjugé ! A qui les trésors des empereurs Ming, avec le marché du pétrole par-dessus le compte ? A qui l’Amérique? Adjugé !

Gabelle, taxes, impôts, toutes les ressources sont pour les généraux. Si l’on en prenait un au retour d’une de ses tournées, alors que ses poches débordent et qu’on l’incinérât, ce ne serait pas de la cendre que rendrait le four mais du métal en fusion. On fondrait une cloche avec ses restes.

- Il faut bien qu’ils paient leurs soldats, ces généraux-là, direz-vous.

- Oui da ! bon peuple de chez nous, ils paient leurs soldats par un jour de pillage, chaque mois. Quand les Chinois, par bonheur, en connaissent la date, ils se précipitent chez le toukiun (ces tyrans s’appellent toukiuns).

- Ne nous écartèle pas, nous réglerons les dépenses. Combien veux-tu ?

Les villages moins malins sont ravagés. Les dames qui ont horreur de l’imprévu dans le plaisir se jettent dans les puits pour échapper au rut déchaîné. (Que les puits sont étroits ! Qu’elles doivent avoir de petits corps !)

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Texte n°3   extrait de : « Au bagne »

Nous touchons à une grave erreur du bagne. C’est la loi, mais la loi s’est trompée. Reposons le problème. Quand un homme est condamné à cinq ou sept ans de travaux forcés, sa peine achevée, il doit le « doublage », c'est-à-dire demeurer encore cinq ou sept ans en Guyane. Quand un homme est condamné à huit ans et plus, ce n’est pas alors pour lui, quitte et double, mais quitte et crève. Il doit rester toute sa vie sur le Maroni. La loi prévoit que le transporté libéré pourra recevoir une concession. Bravo ! Or, ce jour l’effectif des libérés est de 2448. 2448 Blancs sans toit, sans vêtements –évidemment ils ne se promènent pas tous nus, sans vêtements quand même, sans pâture, sans travail et sans espoir d’une embauche. Tous ont faim. C sont des chiens sans propriétaire. Leur peine est finie. Ils ont payé. A-t-on le droit pour la même faute, de condamner un homme deux fois !

   …….. Alors, ils volent. Et si j’étais à leur place…Si vous étiez à la mienne…Il faut voler ou se suicider. Dans ce monde, on fait plutôt un geste que l’autre.

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Texte n° 4

extrait de « Le chemin de Buenos Aires. »

Aucune loi n’empêchera la rencontre de l’homme et de la femme. Il est vrai que la Société des Nations n’a pas toujours peur de perdre son temps. Je vous ai montré la traite des blanches. Les hommes qui en vivent, les femmes qui n’en meurent pas. Jusqu’à ce jour, on n’a voulu voir dans cette question que les cas exceptionnels. « Le roman ». Le roman de la jeune fille trompée. Cela fait une bien belle histoire à faire pleurer les mères. Ce n’est qu’une histoire. La jeune fille non consentante sait où s’adresser. Regardons plus profondément. Ce n’est pas le roman alors que nous trouvons, c’est le drame. Drame des petites Polaks. Drame des petites Franchuchas. Celles-là baissent la tête. Elles savent le chemin qu’elles prennent. Elles suivent l’homme du milieu comme un malade le chirurgien. Drame de la misère de la femme. Le ruffian ne crée pas. Il ne fait qu’exploiter ce qu’il trouve. S’il ne trouvait pas cette marchandise, il ne la vendrait pas. Seulement, il sait qui la fabrique. Il connaît l’usine d’où sort cette matière première, la grande usine : « la Misère ».

Il est toujours plus facile de s’en prendre aux apparences sensibles.

La Misère est comme tous les états. « Seuls la connaissent ceux qui l’habitent ».

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Texte n° 5 extrait de : « Dante n’avait rien vu »

Il faudrait réformer les prisons civiles. Le mal est au cœur même de nos méthodes de répression. Dans ce domaine, nous faisons plus que de manquer d’humanité, nous manquons d’intelligence.

L’idée de faire travailler de jeunes hommes en plein air vaut mieux que celle de les enfermer dans une citadelle. C’est aussi l’opinion des détenus. Ce n’est pas à la peine que nous en avons c’est à la manière déloyale dont on l’applique. Tant que l’on dira d’un détenu : « C’est un charognard, qu’il crève ! » nous en ferons un double charognard. Traitons-le avec sang-froid que devrait nous donner le sentiment de notre force, et nous le relèverons. Ce n’est pas une utopie. Les rares chefs, qui, au risque de leur carrière, rompant avec le dogme administratif, firent de leur mission un sacerdoce, ont tous réussi. Seuls prétendent le contraire, les gens qui vivent de cette honte et ceux qui parlent sans savoir.

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TEXTE N°6 1er extrait de :

« Marseille porte du Sud ».

« On a fait, voilà deux ans, une exposition coloniale à Marseille. C’est à se demander jusqu’où parfois les pouvoirs publics von t dans l’inutilité. Et les gens qui supposent qu’il n’y a plus d’exposition coloniale à Marseille, je n’irai pas jusqu’à les blâmer, mais je les plaindrai. Voulez-vous voir l’Algérie, le Maroc, la Tunisie ? Donnez-moi le bras. Je vous conduis rue des Chapeliers : voilà les gourbis, les bicots et les mouquères. Voilà le parfum de l’Orient, c’est-à-dire l’odeur d’une vieille chandelle en train de frire dans une poêle. Voilà pendus aux portes, les moutons aux fesses vieilles et talées. Voilà les sidis rentrant à la casbah après le travail au port. Cédez le trottoir et ne parlez pas aux femmes, cela ferait une bagarre, vous êtes en territoire arabe. Vous êtes à Sfax, à Rabat et dans le ghetto d’Oran. Rien n’y manque. Le réchaud à café turc, le lumignon au plafond et la pénombre malsaine et tentante des villes méditerranéennes. Maintenant, sauvez-vous, voilà les poux !

Ceci a été écrit en 1926 !.

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Texte n°7

2èmeextrait de « La circulation à Marseille. »

J’ai ouï dire que la problème de la circulation empêchait souvent de dormir Monsieur le Préfet de Police de Paris. C’est un souci qui n’empêche pas les autorités marseillaises de ronfler ! Elles ont peut-être raison. Pour la ville c’est une curiosité. Cela doit attirer les visiteurs. On peut, en effet, se déranger pour voir une chose pareille ! Ni droite, ni gauche. Permission d’enjamber les refuges, d’entamer les trottoirs. La circulation à Marseille est régie par une loi unique : « Toute voiture doit, par tous les moyens, dépasser la voiture qui la précède. » On se croirait au temps des cochers bleus de Constantinople. C’est une course de chars. Qui arrivera le premier et déclenchera l’enthousiasme populaire ? Le’ camion bouscule la voiture d’un coup d’épaule. Le taxi souffle sur la bicyclette. Le camionneur à trois chevaux se gare du camionneur à essence, mais il saute à la gorge de la calèche de place. Parfois, le gros tramway les met tous d’accord, il les cogne, l’un après l’autre avec sa baladeuse. C’est le grand pugilat des véhicules !

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Texte N°8     « à propos de la Canebière »

« La Canebière a peut-être bien huit ou neuf maisons. Cependant elle est comme toutes les rues, elle a deux côtés, ce qui peut lui faire seize ou dix-huit maisons. »

Ce n’était pas long…

Marseille, prise au fait, n’en croyait pas ses yeux. Elle mesura et vit que c’était vrai. Comment faire ? Marseille débaptisa la rue Noailles qui faisait suite et l’appela aussitôt rue Canebière. La Canebière compta immédiatement un nombre beaucoup plus respectable de maisons. Et du coup le malheureux écrivain passa pour un imposteur…

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TEXTE N°9 extrait de : « Les Forçats de la route »

Partis plus de 150, ils reviennent soixante !

Vous pouvez venir les voir, ce ne sont pas des fainéants. Pendant un mois, ils se sont battus avec la route. Les batailles avaient lieu en pleine nuit, au petit matin, sous le coup de midi, à tâtons dans le brouillard qui donne des coliques, contre le vent debout qui les couche par côté, sous le soleil qui voulait, comme dans la Crau, les assommer sur leur guidon. Ils ont empoignés les Pyrénées e les Alpes. Ils montaient en selle un soir, à six heures et n’en redescendaient que le lendemain soir, à six heures, ainsi que l’on pu le constater des Sables-d’Olonne à Bayonne, par exemple.

Ils étaient sur la route qui n’était pas à eux. On leur barrait le chemin. A leur nez, on fermait les passages à niveau. Les vaches, les oies, les chiens, les hommes se jetaient dans leurs jambes. Ce n’était pas le grand supplice. Le grand supplice les a pris au départ et les mènera jusqu’à Paris. Il s’agit des autos. Trente jours durant, ces voitures ont raboté la route sur le flanc des coureurs. Elles l’on rabotée en montant, elles l’ont rabotée en descendant. Cela faisait d’immenses copeaux de poussière. Les yeux brûlés, la bouche desséchée ils ont supporté la poussière sans rien dire.

Ils ont roulé sur du silex. Ils ont avalé les gros pavés du Nord. La nuit quand il faisait trop froid, ils s’enroulaient le ventre de vieux journaux : dans la journée, ils se jetaient des brocs d’eau sur leur corps tout habillé. Ainsi, ils arrosaient la route jusqu’à ce que le’ soleil eût séché leur maillot.

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Texte n°10 extrait de  « Chez les fous. »

Un fou ne doit pas être brimé, mais soigné. De plus, l’asile doit être l’étape dernière. Aujourd’hui, c’est l’étape première. Il ne faut interner que les incurables. Les autres relèvent de l’hôpital. Sur quatre-vingt mille internés, cinquante mille pourraient être libres sans danger pour eux ni pour la société. On les a mis là parce qu’il n’y avait pas d’autre endroit et que c’était l’habitude. On n’a pas cherché à les guérir, mais à les boucler. L’heure est peut-être venue de nous montrer moins primitifs. Un homme a tenté cette révolution, le docteur Toulouse. Depuis son avènement, le citoyen a droit aux troubles du cerveau tout comme aux rages de dents. D’ordinaire, on dit à ce citoyen : « Nous allons d’abord vous interner, ensuite, on vous examinera. » Toulouse dit : « Je vais vous examiner, ensuite je vous soignerai pour que vous ne soyez pas interné. »

Le Dr Toulouse a lutté trente ans contre les pouvoirs publics. Alors on lui a donné un petit coin à Sainte Anne où fonctionne son « innovation ».

Le service ouvert du Dr Toulouse est à Paris. Il est unique. Il en faudrait dix dans la capitale. Il en existe un autre à Bordeaux. C’est tout. Tout hôpital de France devrait avoir un quartier des maladies mentales.

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Texte n° 11

Le journal Le Figaro publie dans son édition du 2 juin le récit d'un

  1. Julien, ingénieur des services municipaux:

 

«Lorsque j'ai quitté ma cabine, fuyant devant le feu, j'ai très nettement entendu crier dans la cabine occupée par M. Albert Londres: “Au secours! Sauvez-moi!” Après l'épouvante des premières heures et le désarroi où nous avaient plongés ces tragiques événements, j'ai pensé que M. Albert Londres, qui avait sans doute utilisé la fermeture électrique pour la porte de sa cabine, n'avait pu au moment de l'incendie, ouvrir cette porte. C'est une simple supposition que je fais là, mais je ne puis m'expliquer comment il ne put sortir de sa cabine. Il y avait aussi le hublot par lequel il eut aisément passé. Pourquoi n'a-t-il pas utilisé ce moyen pour quitter la cabine? je ne sais que penser.»

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La réponse arrive dans l'édition du lendemain avec un second témoignage, celui de l'un des officiers du Georges-Philippar :

 

Texte n° 12 « Le Figaro » Monsieur Sadorge

«J'étais sur le pont des embarcations, quand j'ai entendu des appels provenant d'une cabine de luxe du pont immédiatement inférieur et j'ai vu alors un passager qui sortait par le hublot et qui appelait à l'aide.

C'était, je l'ai su depuis, M. Albert Londres. Je lui ai lancé une manche à eau, un de ces longs tuyaux de toile qui servent chaque matin au lavage du pont et doivent être utilisés en cas d'incendie pour lutter contre le feu. M. Albert Londres a saisi cette manche à eau, il s'est glissé hors de la cabine et a commencé à se hisser à la force des bras pour atteindre le pont des embarcations.

Le considérant comme en sûreté, je suis allé au secours des enfants et des femmes qui, rassemblés sur le pont supérieur, étaient inquiets et ne savaient que faire. Avec mes camarades de l'équipage, nous avons aidé à leur évacuation vers l'arrière.

«  Or, la manche à eau à laquelle se cramponnait M. Albert Londres s'est rompue, probablement atteinte déjà par les flammes qui venaient du pont des premières, et il a dû tomber à l'eau.»

          

                    Bonne lecture.

                                                     JGG