Conférence “A propos de Colette”
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COLETTE (1873-1954) Textes
Extrait N°1 SIDO
Ma mère qui tenait pour naturel, voire obligatoire, d’enfanter des miracles, professait aussi que l’on tombe toujours du côté où l’on penche et affirmait, pour se rassurer elle-même :
- Achille sera médecin. Mais Léo ne pourra pas échapper à la musique. Quant à la petite…
Elle levait les sourcils, interrogeait le nuage et me remettait à plus tard. Exception bizarre, il n’était jamais question de l’avenir de ma sœur aînée, déjà majeure, mais étrangère à nous, étrangère à tous, volontairement isolée au sein de sa propre famille.
- Juliette est une autre espèce de sauvage, soupirait ma mère. Mais à celle-là personne ne comprend rien, même moi.
Elle se trompa, nous la trompâmes plus d’une fois. Elle ne se décourageait pas et nous coiffait d’une nouvelle auréole. Mais elle n’accepta jamais que son second fils échappât, comme elle le disait, à la musique, car je lis dans mainte lettre qui date de la fin de sa vie : « Sais-tu si Léo a un peu de temps pour travailler son piano ? Il ne doit pas négliger un don qui est extraordinaire ; je ne me lasserai pas d’insister là-dessus. »
A l’époque où ma mère m’écrivait ces lettres, mon frère était âgé de quarante-quatre ans.
Extrait n° 2 SIDO
- Mais que tu as donc l’air bête aujourd’hui, ma fille !... D’ailleurs tu es beaucoup plus jolie quand tu as l’air bête. C’est dommage que cela t’arrive si rarement. Tu pèches, comme moi, par excès d’expression. J’ai toujours l’air, quand j’égare don dé, d’avoir perdu un parent bien-aimé… Quand tu prends l’air bête, tu as les yeux plus grands, la bouche entrouverte, et tu rajeunis… A quoi penses-tu ?
- - A rien maman…
- -Je ne te crois pas, mais c’est bien imité. Vraiment très bien, ma fille. Tu es un miracle de gentillesse et de fadeur !
Je tressaillais, je rougissait sous la louange piquante, l’œil acéré, la voix aux finales hautes et justes. Elle ne m’appelait « ma fille » que pour souligner une critique ou une réprimande… Mais la voix, le regard étaient prompts à changer…
- Ô mon joyau-tout-en-or ! Ce n’est pas vrai, tu n’en ni bête ni jolie, tu es seulement ma petite fille incomparable !... Où vas-tu ?
Comme à tous les inconstants l’absolution me donnait des ailes, et dûment embrassée, légère, j’apprêtais déjà ma fuite.
Extrait n° 3 Les Sauvages
- Des sauvages…Des sauvages…disait-elle. Que faire avec de tels sauvages ?
Elle secouait la tête. Il y avait dans son découragement, une part de choix, un désistement raisonné, peut-être aussi, la conscience de sa responsabilité. Elle contemplait ses deux garçons, les demi-frères, et les trouvait beaux.
Extrait n° 4 SIDO
« Il y avait en ce temps-là de grands hivers, de brûlants été. J’ai connu, depuis, des étés dont la couleur, si je ferme les yeux, est celle de la terre ocreuse, fendillée entre les tiges du blé et sous la géante ombelle du panais sauvage, celle de la mer grise ou bleue .Mais aucun été, sauf ceux de mon enfance, ne commémore le géranium écarlate et la hampe enflammée des digitales. Aucun hiver n’est plus d’un blanc pur à la base d’un ciel bourré de nues ardoisées qui présageaient une tempête de flocons plus épais, puis un dégel illuminé de mille gouttes d’eau et de bourgeons lancéolés.
Ce ciel pesait sur le toit chargé de neige des greniers à fourrages, le noyer nu, la girouette, et pliait les oreilles des chattes… La calme et verticale chute de neige devenait oblique, un faible ronflement de mer lointaine se levait sur ma tête encapuchonnée, tandis que j’arpentais le jardin, happant la neige volante… Avertie par ses antennes, ma mère s’avançait sur la terrasse, goûtait le temps, me jetait un cri :
- La bourrasque d’Ouest ! Cours ! Ferme les lucarnes du grenier !...La porte de la remise aux voitures !... et les fenêtres de la chambre du fond !
Mousse exalté du navire natal, je m’élançais, claquant des sabots, enthousiasmée si du fond de la mêlée blanche et bleu-noir, sifflante, un vif éclair, un bref roulement de foudre, enfants d’Ouest et de Février, comblaient tous deux un des abîmes du ciel…Je tâchais de trembler, de croire à la fin du monde.
Mais dans le pire des fracas ma mère, l’œil sur une grosse loupe cerclée de cuivre, s’émerveillait, comptait les cristaux ramifiés d’une poignée de neige qu’elle venait de cueillir aux mains mêmes de l’Ouest rué sur notre jardin… »
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Extrait n° 5 « AMOURS »
« Les Vrilles de la vigne » (aout 1933)
A fréquenter le chat, on ne risque que de s’enrichir. Serait-ce par calcul que, depuis un demi-siècle, je recherche sa compagnie ? Je n’eus jamais à le chercher loin : il naît sous mes pas. Chat perdu, chat de ferme, traqueur et traqué, maigri d’insomnie, chat de librairie embaumé d’encre, chats des crémeries et des boucheries, bien nourris mais transis, chats poussifs de la petite bourgeoisie, enflés de mou ; heureux chats despotes qui régnez sur Claude Farrère, sur Paul Morand, et sur moi… Tous vous me rencontrez sans surprise, non sans bonheur.
Qu’entre cent chats elle témoigne, un jour en ma faveur, cette chatte errante et affamée qui se heurtait, en criant, à la foule que dégorge, le soir, le métro d’Auteuil. Elle me démêla, me reconnut : « Enfin toi !... Comme tu as tardé. Je n’en puis plus…Où est ta maison ? Va, je te suis… » Elle me suivit, si sûre de moi que le cœur m’en battait. Ma maison lui fit peur d’abord, parce que je n’y étais pas seule. Mais elle s’habitua, et y resta quatre ans, jusqu’à sa mort accidentelle. »
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Bonne lecture …..