Rencontre avec "Molière".
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MOLIERE extraits
LES PRECIEUSES RIDICULES
Le premier extrait est un propos tenu par Madelon :
Madelon s’adressant à son père Gorgibus :
Mon père, voici ma cousine qui vous dira aussi bien que moi que le mariage ne doit jamais arriver qu’après les autres aventures. Il faut qu’un amant, pour être agréable, sache débiter les beaux sentiments, pousser le doux, le tendre et le passionné, et que sa recherche soit dans les formes.
Ce qui fait dire au père :
Je pense qu’elles sont folles toutes deux et je ne puis rien comprendre à ce baragouin.
Plus loin : Cathos la nièce de Gorgibus :
Mon Dieu ma chère que ton père a la forme enfoncée dans la matière ! que son intelligence est épaisse et qu’il fait sombre dans son âme !
Madelon
Que veux-tu ma chère j’en suis en confusion pour lui. J’ai peine à ma persuader que je puisse être véritablement sa fille et je crois que quelque aventure un jour viendra développer une naissance plus illustre.
LE TARTUFFE
Acte 5 scène III
Mme PERNELLE
Qu’est-ce ? J’apprends ici de terribles mystères.
ORGON
Ce sont des nouveautés dont mes yeux sont témoins,
Et vous voyez le prix dont sont payés mes soins.
Je recueille avec zèle un homme en sa misère ;
Je le loge et le tiens comme mon propre frère ;
De bienfaits chaque jour il est par moi chargé ;
Je lui donne ma fille et tout le bien que j’ai ;
Et, dans le même temps, le perfide, l’infâme,
Tente le noir dessein de suborner ma femme ;
Et non content encor de ses lâches essais,
Il m’ose menacer de mes propres bienfaits
Et veut à ma ruine user des avantages
Dont le viennent d’armer mes bontés trop peu sages,
Me chasser de mes biens où je l’ai transféré
Et me réduire au point d’où je l’ai retiré.
Dorine
Le pauvre homme !
Mme Pernelle
Mon fils je ne puis du tout croire
Qu’il ait voulu commettre une action si noire.
Orgon
Comment ?
Mme Pernelle
Les gens de bien sont enviés toujours.
Orgon
Que voulez-vous donc dire avec votre discours,
Ma mère ?
Mme Pernelle
Que chez vous on vit d’étrange sorte,
Et qu’on ne sait que trop la haine qu’on lui porte.
Orgon
Qu’a cette haine à faire avec ce qu’on vous dit ?
Mme Pernelle
Je vous l’ai dit cent fois quand vous étiez petit ;
La vertu, dans le monde, est toujours poursuivie ;
Les envieux mourront, mais non jamais l’envie.
Molière, L’Avare, acte IV, scène 7
Harpagon (Il crie au voleur dès le jardin, et vient sans chapeau.) : Au voleur ! Au voleur ! A l’assassin ! Au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné, on m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu’est-il devenu ? Où est-il ? Où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ? Où ne pas courir ? N’est-il point là ? N’est-il point ici ? Qui est-ce ? Arrête. Rends-moi mon argent, coquin… (il se prend lui-même le bras.) Ah ! C’est moi. Mon esprit est troublé, et j’ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas ! Mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami ! On m’a privé de toi ; et puisque tu m’ es enlevé, j’ ai perdu mon support, ma consolation, ma joie ; tout est fini pour moi, et je n’ ai plus que faire au monde : sans toi, il m’est impossible de vivre. C’en est fait, je n’en puis plus ; je me meurs, je suis mort, je suis enterré. N’ y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m’apprenant qui l’a pris ? Euh ? Que dites-vous ? Ce n’est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu’avec beaucoup de soin on ait épié l’heure ; et l’on a choisi justement le temps que je parlois à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller querir la justice, et faire donner la question à toute la maison : à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Eh ! De quoi est-ce qu’on parle là ? De celui qui m’a dérobé ? Quel bruit fait-on là-haut ? Est-ce mon voleur qui y est ? De grâce, si l’on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l’on m’en dise. N’est-il point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu’ils ont part sans doute au vol que l’on m’a fait. Allons vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux. Je veux faire pendre tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après.
LE MALADE IMAGINAIRE
Scène 10 - TOINETTE, en médecin, ARGAN, BERALDE
TOINETTE
Monsieur, je vous demande pardon de tout mon coeur.
ARGAN
Cela est admirable.
TOINETTE
Vous ne trouverez pas mauvais, s'il vous plaît, la curiosité que j'ai eue de voir un illustre malade comme vous êtes; et votre réputation, qui s'étend partout, peut excuser la liberté que j'ai prise.
ARGAN
Monsieur, je suis votre serviteur.
TOINETTE
Je vois, monsieur, que vous me regardez fixement. Quel âge croyez-vous bien que j'aie?
ARGAN
Je crois que tout au plus vous pouvez avoir vingt-six ou vingt-sept ans.
TOINETTE
Ah! ah! ah! ah! ah! j'en ai quatre-vingt-dix.
ARGAN
Quatre-vingt-dix!
TOINETTE
Oui. Vous voyez en effet des secrets de mon art, de me conserver ainsi frais et vigoureux.
ARGAN
Par ma foi, voilà un beau jeune vieillard pour quatre-vingt-dix ans!
TOINETTE
Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d'illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m'occuper, capables d'exercer les grands et beaux secrets que j'ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m'amuser à ce menus fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fièvrotes, à ces vapeurs et à ces migraines. Je veux des maladies d'importance, de bonnes fièvres continues, avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies avec des inflammations de poitrine: c'est là que je me plais, c'est là que je triomphe; et je voudrais, monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, désespéré, à l'agonie, pour vous montrer l'excellence de mes remèdes et l'envie que j'aurais de vous rendre service.
ARGAN
Je vous suis obligé, monsieur, des bontés que vous avez pour moi.
TOINETTE
Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l'on batte comme il faut. Ah! je vous ferai bien aller comme vous devez. Ouais! ce pouls-là fait l'impertinent; je vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Qui est votre médecin?
ARGAN
Monsieur Purgon.
TOINETTE
Cet homme-là n'est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi dit-il que vous êtes malade?
ARGAN
Il dit que c'est du foie, et d'autres disent que c'est de la rate.
TOINETTE
Ce sont tous des ignorants. C'est du poumon que vous êtes malade.
ARGAN
Du poumon?
TOINETTE
Oui. Que sentez-vous?
ARGAN
Je sens de temps en temps des douleurs de tête.
TOINETTE
Justement, le poumon.
ARGAN
Il me semble parfois que j'ai un voile devant les yeux.
TOINETTE
Le poumon.
ARGAN
J'ai quelquefois des maux de coeur.
TOINETTE
Le poumon.
ARGAN
Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.
TOINETTE
Le poumon.
ARGAN
Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c'étaient des coliques.
TOINETTE
Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez?
ARGAN
Oui, monsieur.
TOINETTE
Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin.
ARGAN
Oui, monsieur.
TOINETTE
Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas, et vous êtes bien aise de dormir?
ARGAN
Oui, monsieur.
TOINETTE
Le poumon, le poumon, vous dis-je. Que vous ordonne votre médecin pour votre nourriture?
ARGAN
Il m'ordonne du potage.
TOINETTE
Ignorant!
ARGAN
De la volaille.
TOINETTE
Ignorant!
ARGAN
Du veau.
TOINETTE
Ignorant!
ARGAN
Des bouillons.
TOINETTE
Ignorant!
ARGAN
Des oeufs frais.
TOINETTE
Ignorant!
ARGAN
Et, le soir, de petits pruneaux pour lâcher le ventre.
TOINETTE
Ignorant!
ARGAN
Et surtout de boire mon vin fort trempé.
TOINETTE
Ignorantus, ignoranta, Ignorantum. Il faut boire votre vin pur, et, pour épaissir votre sang, qui est trop subtil, il faut manger de bon gros boeuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande; du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner. Votre médecin est une bête. Je veux vous en envoyer un de ma main; et je viendrai vous voir de temps en temps, tandis que je serai en cette ville.
ARGAN
Vous m'obligerez beaucoup.
TOINETTE
Que diantre faites-vous de ce bras-là?
ARGAN
Comment?
TOINETTE
Voilà un bras que je me ferais couper tout à l'heure, si j'étais que de vous.
ARGAN
Et pourquoi?
TOINETTE
Ne voyez-vous pas qu'il tire à soi toute la nourriture, et qu'il empêche ce côté-là de profiter?
ARGAN
Oui; mais j'ai besoin de mon bras.
TOINETTE
Vous avez là aussi un oeil droit que je me ferais crever, si j'étais à votre place.
ARGAN
Crever un oeil?
TOINETTE
Ne voyez-vous pas qu'il incommode l'autre, et lui dérobe sa nourriture? Croyez-moi, faites-vous-le crever au plus tôt: vous en verrez plus clair de l'oeil gauche.
ARGAN
Cela n'est pas pressé.
TOINETTE
Adieu. Je suis fâché de vous quitter si tôt; mais il faut que je me trouve à une grande consultation qui doit se faire pour un homme qui mourut hier.
ARGAN
Pour un homme qui mourut hier?
TOINETTE
Oui: pour aviser et voir ce qu'il aurait fallu lui faire pour le guérir. Jusqu'au revoir.
ARGAN
Vous savez que les malades ne reconduisent point.
BERALDE
Voilà un médecin, vraiment, qui paraît fort habile!
ARGAN
Oui; mais il va un peu bien vite.
BERALDE
Tous les grands médecins sont comme cela.
ARGAN
Me couper un bras et me crever un oeil, afin que l'autre se porte mieux! J'aime bien mieux qu'il ne se porte pas si bien. La belle opération, de me rendre borgne et manchot!