Rencontre avec Albert CAMUS

Du 02 Avril 2024 14:00 jusqu'au 02 Avril 2024 16:30
Posté par Super Utilisateur
Visites: 33

Chers adhérents, Bonjour. 

Après, je l'espère, de joyeuses fêtes de Pâques, je vous donne rendez-vous au Florida le  :

                                        Mardi 2 Avril à 14 h  pour une rencontre avec : Albert CAMUS

Vous trouverez ci-dessous les extraits qui seront lus ainsi que leur fichier PDF imprimable au bas de cette page.

Dans l'attente du plaisir de vous retrouver, cordialement,

Jacqueline GHIO-GERVAIS 

 

                       ALBERT CAMUS 1913-1960

N° 1

Pour moi, je sais que ma source est dans ce monde de pauvreté et de lumière où j’ai longtemps vécu et dont le souvenir me préserve encore des deux dangers contraires qui menacent tout artiste, le ressentiment et la satisfaction.

N° 2 LE PREMIER HOMME extrait

Je vivais dans la gêne, mais aussi dans une sorte de jouissance. Le couloir puant, la petite chaise crevée, les cafards qui rampent dans l’escalier, la fenêtre minuscule, c’est le prix à payer pour atteindre la lumière, le ciel clouté d’étoiles, les sillages de senteurs qui embaument la chambre du pauvre comme celle du roi. L’été et la nuit qui donnent à leur façon, muette et latente, les plus grandes leçons de la vie. Les yeux levés, dit-il, se revoyant enfant, il buvait à même la nuit pure. Nuits de Belcourt, tyranniques de chaleur mais immenses et vastes comme la mer, qui lui enseignent la fidélité et la ténacité muette, les deux grandes vertus d sa vie d’adulte qui feront son œuvre sincère et profondément vraie.

N°3 LE PREMIER HOMME extrait

Il voyait arriver avec soulagement les journées de douze heures du lycée, en même temps que grandissait en lui la gêne d’avoir à déclarer au bureau qu’il abandonnait son emploi. Le plus dur avait été la quincaillerie. Il aurait lâchement préféré ne pas aller au bureau et que la grand-mère y allât pour expliquer n’importe quoi. Mais la grand-mère trouvait tout simple de supprimer toutes les formalités, il n’avait qu’à toucher sa paie et ne plus y retourner, sans autres explication. Jacques, qui eût trouvé tout naturel d’envoyer sa grand-mère encaisser les foudres du patron, et dans un sens, il est vrai qu’elle était responsable de la situation et du mensonge qu’elle entraînait, s’indignait cependant, sans pouvoir expliquer pourquoi, devant cette dérobade ; de surcroît, il trouva l’argument convaincant : « Mais le patron enverra quelqu’un ici. » C’est vrai dit la grand-mère. Eh bien, tu n’as qu’à lui dire que tu vas travailler chez ton oncle. Jacques partait déjà avec la damnation au cœur, lorsque la grand-mère lui dit : Et surtout prends d’abord ta paie. Tu lui parleras ensuite. »

N° 4 LE PREMIER HOMME extrait Mentir pour avoir le droit de ne pas prendre de vacances, travailler loin du ciel de l’été et de la mer qu’il aimait tant, et mentir encore pour avoir le droit de reprendre son travail au lycée, cette injustice lui serrait le cœur à mourir. Car le pire n’était pas dans ces mensonges qui finalement il était incapable de proférer, toujours prêt au mensonge de plaisir et incapable de se soumettre au mensonge de nécessité, mais surtout dans ces joies perdues, ces repos de la saison et de la lumière qui lui étaient ravis, et l’année n’était plus alors qu’une suite de levers hâtifs et de journées mornes et précipitées.

N° 5 LE PREMIER HOMME extrait

Oui, il était un homme, il payait un peu de ce qu’il devait, et l’idée d’avoir diminué un peu la misère de cette maison l’emplissait de cette fierté presque méchante qui vient aux hommes lorsqu’ils commencent de se sentir libres et soumis à rien.

…………………………………….

Et si un jour, lui qui avait jusque-là accepté patiemment d’être battu par sa grand-mère comme si cela faisait partie des obligations inévitables d’une vie d’enfant, lui arracha le nerf de bœuf des mains, soudainement fou de violence et de rage et si décidé à frapper cette tête blanche dont les yeux clairs et froids le mettaient hors de lui que la grand-mère le comprit, recula et partit s’enfermer dans sa chambre, gémissant certes sur le malheur d’avoir élevé des enfants dénaturés mais convaincue déjà qu’elle ne battrait plus jamais Jacques, que jamais plus en effet elle ne battît, c’est que l’enfant en effet était mort dans cet adolescent maigre et musclé, aux cheveux en broussailles et au regard emporté, qui avait travaillé tout l’été pour rapporter un salaire à la maison, venait d’être nommé gardien de but titulaire de l’équipe du lycée et, trois jours auparavant, avait goûté pour la première fois, défaillant, à la bouche d’une jeune fille.

N° 6

« Toute orthodoxie repose sur des conventions, et la première de toutes est qu’il faut se ranger à l’avis soit d’une majorité, soit d’un chef et, une fois que cette majorité ou ce chef se sont prononcés, se ranger à leu avis sous peine de d’être banni de la société. »

N°7

« Au fond, bien au fond de cette vie qui nous séduit tous, il n’ya qu’absurdité, et encore absurdité. »

Il se reprend pourtant :

«  Et c’est tout ça qui peut-être fait notre joie de vivre. Parce qu’il n’y a qu’une chose à opposer à l’absurdité c’est la lucidité. »

N° 8 La Morale de l’absurde :

Je tire de l’absurde, dit Camus, trois conséquences qui sont : ma révolte, ma liberté, ma passion. Par le seul jeu de ma conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort, et je refuse le suicide.

N° 9 Extrait de NOCES A TIPASA

Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. A certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L’odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme. A peine, au fond du paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village, et s’ébranle d’un rythme sûr et pesant pour aller s’accroupir dans la mer.

N°10 Extrait de NOCES A TIPASA

Au bout de quelques pas, les absinthes nous prennent à la gorge. Leur laine grise couvre les ruines à perte de vue. Leur essence fermente sous la chaleur, et de la terre au soleil monte sur toute l’étendue du monde un alcool généreux qui fait vaciller le ciel. Nous marchons à la rencontre de l’amour et du désir. Nous ne cherchons pas de leçons, ni l’amère philosophie qu’on demande à la grandeur. Hors du soleil, des baisers et des parfums sauvages, tout nous paraît futile. Pour moi, je ne cherche pas à y être seul. J’y suis souvent allé avec ceux que j’aimais et je lisais sur leurs traits le clair sourire qui prenait le visage de l’amour. Ici je laisse à d’autres l’ordre et la mesure. C’est le grand libertinage de la nature et de la mer qui m’accapare tout entier. Dans ce mariage des ruines et du printemps, les ruines sont redevenues pierres, et perdant le poli imposé par l’homme, sont rentrées dans la nature. Pour le retour de ces filles prodigues, la nature a prodigué des fleurs. Entre les dalles du forum, l’héliotrope pousse sa tête ronde et blanche, et les géraniums rouges versent leur sang sur ce qui fut maisons, temples et places publiques. Comme ces hommes que beaucoup de science ramène à Dieu, beaucoup d’années ont ramené les ruines à la maison de leur mère. Aujourd’hui enfin leur passé les quitte, et rien ne les distrait de cette force profonde qui les ramène au centre des choses qui tombent.

N°11 Extrait de L’ETE

Et c’est ici peut-être que je pourrais cesser toute ironie. Après tout, la meilleure façon de parler de ce qu’on aime est d’en parler légèrement. En ce qui concerne l’Algérie, j’ai toujours peur d’appuyer sur cette corde intérieure qui lui correspond en moi et dont je connais le chant aveugle et grave. Mais je puis bien dire au moins qu’elle est ma vraie patrie et qu’en n’importe quel lieu du monde, je reconnais ses fils et mes frères à ce rire d’amitié qui me prend devant eux. Oui, ce que j’aime dans les villes algériennes ne se sépare pas des hommes qui les peuplent. Voilà pourquoi je préfère m’y trouver à cette heure du soir où les bureaux et les maisons déversent dans les rues, encore obscures, une foule jacassante qui finit par couler jusqu’aux boulevards devant la mer et commence à s’y taire, à mesure que vient la nuit et que les lumières du ciel, les phares de la baie et les lampes de la ville se rejoignent peu à peu dans la même palpitation indistincte. Tout un peuple se recueille ainsi au bord de l’eau, mille solitudes jaillissent de la foule. Alors commencent les grandes nuits d’Afrique, l’exil royal, l’exaltation désespérée qui attend le voyageur solitaire…

Non, décidément, n’allez pas là-bas si vous vous sentez le cœur tiède, et si votre âme est une bête pauvre ! Mais, pour ceux qui connaissent les déchirements du oui et du non, de midi et des minuits, de la révolte et de l’amour, pour ceux enfin qui aiment les bûchers devant la mer, il y a, là-bas, une flamme qui les attend.     (1947)


Fichiers